DE L'ENSEIGNEMENT LOUIS RENAULT ( (1) Louis Renault était né à Autun, le 21 mai 1843. Après d'excellentes études classiques faites au collège de sa ville natale, il prit ses premières inscriptions, en 1861, à la Faculté de Droit de Paris. Ses succès y furent très grands. A plusieurs reprises, la satisfaction de ses examinateurs fut telle que les meilleures notes prévues par le règlement ne leur semblèrent pas suffisantes pour reconnaître le mérite exceptionnel du candidat; ils le firent, contrairement à l'usage, rentrer dans la salle d'examen, pour lui adresser de vives félicitations. Reçu docteur en 1868, il se présenta quelques mois après au concours d'agrégation des Facultés de Droit et y obtint la première place par le suffrage unanime des membres du jury. Ces succès répétés et rapides étaient d'autant plus méritoires que celui qui les remportait, moins favorisé du sort que la plupart de ses condisciples, avait dû consacrer une partie de son temps à des occupations étrangères à l'objet de ses études. Pendant qu'il était étudiant, il habitait une de ces modestes maisons de famille, comme il y en avait alors beaucoup derrière le Panthéon, dans le tranquille quartier du Jardin des Plantes; c'était le séjour de vieux célibataires, de petits retraités et aussi d'étudiants qui ne pouvaient se payer le luxe d'une chambre dans un hôtel de la rive droite ou même du quartier latin. Cette maison de la rue Lacépède, démolie lors du percement de la rue Monge, avait, par la 'simplicité de l'ameublement et la nudité des murs, l'aspect d'un couvent. Un assez grand (1) Extrait de la notice lue à l'Académie des Sciences morales et politiques, par M. Charles Lyon-Caen, secrétaire perpétuel. jardin y attenait. Peut-être avait-il été tracé primitivement par un émule de Le Nôtre, mais il y avait longtemps que nul n'en avait pris soin. L'œuvre de la nature laissée à elle-même, tout en différant de celle de l'art, produit parfois des effets pittoresques, c'est ce qui était arrivé pour le jardin de la rue Lacépède. Pendant l'hiver, nous travaillions souvent ensemble jusqu'à une heure avancée de la soirée, soit dans l'appartement de mes parents, soit dans la chambre plus austère de mon cher ami. En été, dans les mois précédant la fin de l'année scolaire, nous nous réunissions dans le vieux jardin avec quelques camarades et nous nous interrogions réciproquement sur les matières de nos prochains examens; les uns étaient prosaïquement assis sur de vieux bancs vermoulus, les autres s'étendaient sur une herbe touffue qui avait peut-être été coupée à une époque reculée; d'autres enfin, profitant de l'occasion pour faire un peu de gymnastique, montaient dans des arbres dont les vieilles branches étaient heureusement encore assez solides pour les porter. Son rang d'agrégation permettait à Louis Renault de choisir la Faculté à laquelle il désirait être attaché; il opta pour celle de Dijon; il avait voulu se rapprocher de sa famille et d'Autun où son père était libraire. Pendant cinq ans, il fut chargé successivement des enseignements du Droit romain et du Droit commercial. Nommé en 1873 agrégé à la Faculté de Droit de Paris, il suppléa dès l'année suivante, M. Charles Giraud, dans la chaire de Droit des gens ou Droit international. Cette suppléance fut renouvelée chaque année jusqu'en 1881, où le suppléant remplaça le titulaire décédé. Ainsi, sans discontinuité, pendant quarante-quatre ans, de 1874 au jour de son décès survenu en 1918, il donna le même enseignement. Il n'y était sans doute pas spécialement préparé. Mais, grâce à ses connaissances générales, à une étude très approfondie du Droit civil, cette maîtresse branche du Droit qui domine toutes les autres, il avait acquis les hautes qualités qui firent promptement de lui un des jurisconsultes les plus distingués de notre temps, un maître de premier ordre, le véritable fondateur de l'enseignement du Droit international en France. Le cours de Droit international tel qu'il fut professé à Paris jusqu'en 1874 n'avait eu, malgré son titre, aucun caractère juridique. Les deux savants maîtres qui s'étaient succédé dans la chaire, y enseignaient l'histoire plutôt que le droit; ils se bor 1 naient à faire l'historique des guerres et des traités qui y avaient mis fin, depuis les traités de Westphalie de 1648 jusqu'aux traités de 1815. Le cours n'avait, par suite, rien de dogmatique, il ne comportait aucun exposé de principes et ne faisait point connaître l'état actuel du Droit international. Louis Renault rompit tout de suite avec cette tradition. Il appliqua à l'enseignement du Droit qui régit les rapports entre les États, les méthodes suivies pour l'enseignement des autres parties de la législation. Tout en laissant à l'histoire la large place qui doit lui appartenir, il s'efforça d'exposer avant tout le Droit international dans son état actuel; puis, il le soumettait à une critique rigoureuse, il opposait ce qui devrait être à ce qui est, et l'on sait, en effet, qu'il y a loin de l'idéal à la réalité. La conception que le professeur s'était faite de l'enseignement qui lui était confié, ressort clairement d'un ouvrage qu'il publia dès 1879, sous le titre d'Introduction à l'étude du Droit international. Il définit avec netteté cette partie du droit, il en détermine les caractères particuliers, il en fixe le domaine, en indique les sources et, sous forme de conclusion, établit un programme détaillé des matières qui, selon lui, doivent entrer dans l'enseignement. L'exposé méthodique des principes du Droit international offre des difficultés spéciales, et il en présentait surtout de très grandes à l'époque où Louis Renault commença de l'enseigner. Il n'existe, en effet, et il ne peut exister, pour régler les rapports entre les États, aucun code, aucune loi écrite au sens rigoureux du mot. A défaut d'un pouvoir législatif commun à tous les États, ces règles ne peuvent résulter que des usages ou du consentement des États, c'est-à-dire de conventions librement conclues entre eux. Les usages difficiles à constater, sont souvent incertains et donnent lieu à de fréquentes contestations. Quant aux conventions internationales, elles étaient peu nombreuses; jusqu'au dernier quart du XIXe siècle, il n'y avait guère que les traités de paix, et ces traités, en général, statuaient plutôt sur des questions politiques et sur des délimitations de territoires que sur des questions juridiques. Louis Renault surmonta immédiatement ces difficultés. Le succès du professeur fut éclatant dès le début et, loin de décroître, ne cessa d'augmenter: De là résultèrent des conséquences variées et très heureuses. Le Droit international n'était guère en honneur parmi les étudiants. Aussi était-il fort rare qu'ils choisissent le sujet de leurs thèses de doctorat dans les matières qui en font partie. Avec le nouveau professeur, tout changea, ce fut une révolution. Il sut inspirer à ses élèves un goût prononcé pour les matières qu'il enseignait. De 1881 à 1917, plus de 200 thèses de Droit des gens furent présidées par le maître qui les avait vues éclore et qui, avec un dévouement inlassable, en avait guidé les auteurs. Parmi ces thèses, un certain nombre sont des ouvrages d'une réelle valeur, et le public s'imagine difficilement qu'ils ont une origine scolaire. Ce ne sont pas seulement des monographies que le cours de Louis Renault a fait naître. Jusqu'au dernier quart du XIXe siècle, un seul traité complet de Droit international, aujourd'hui bien oublié, avait été publié en France. Des traités généraux parurent les uns après les autres. La littérature française qui, en cette matière, était certainement une des plus pauvres du monde, est peu à peu devenue la plus riche par le nombre et par la valeur des œuvres. Aussi peut-on dire qu'il se constitua, pour la première fois, une école française de Droit international. Celui qui l'enseignait à la Faculté de Droit de Paris en était le chef incontesté. Il fit comprendre la haute importance de l'étude du Droit international et il fut cause qu'on augmenta dans des proportions qu'on n'eût pas prévues quinze ans plus tôt, le nombre des chaires où il était enseigné. En 1874, une seule chaire de droit des gens existait dans les Facultés françaises, celle de Paris, créée en 1829. Sans doute, à la même époque, une chaire semblable avait été fondée à la Faculté de droit de Strasbourg; mais elle fut supprimée en 1867. Le second Empire était peu favorable aux enseignements des différentes branches du Droit public. Elles ont les liens les plus intimes avec l'étude des questions politiques; le Gouvernement ne souhaitait pas d'en répandre le goût. Aussi ne s'était-il pas contenté de cette suppression. Il y avait en France une chaire de Droit constitutionnel. Créée sous le gouvernement de Juillet, pour Rossi, à la Faculté de Droit de Paris, et illustrée par lui, elle avait disparu dès 1853. A partir de 1889, des chaires de Droit international furent créées dans toutes les Facultés de Droit de France, et cette branche du Droit considérée avec une faveur particulière, fut introduite à la fois dans les programmes d'examens de la licence et du doctorat. Louis Renault ne s'est pas borné à enseigner le Droit international dans une chaire de la Faculté de Paris. Il fut aussi, dès |