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ple de Théocrite et Virgile, marines à l'exemple de Sannazar, gentilhomme napolitain... Quant aux comédies et tragédies, si les roys et les républiques les voulaient restituer en leur ancienne dignité, qu'ont usurpées les farces et moralités, je serais bien d'opinion que tu t'y employasses... >>

Ces jeunes hommes de la Pléiade étaient candides, sérieux, convaincus. Ils voyaient grand. Ils visaient haut. Ils parlaient de la Gloire comme d'une maîtresse adorée qu'il faut conquérir par vive prouesse, et de la Postérité comme d'une personne respectable dont on n'obtient l'estime que par les marques d'un zèle vertueux. Leur générosité et leur inexpérience dédaignent les tâches faciles. Du Bellay sermonne amicalement le laborieux cénacle. « Ceux, ditil, qui aiment les jeux, les banquets et autres menus plaisirs, qu'ils y passent le jour et la nuit, si bon leur semble. Celui qui désire vivre en la mémoire de la postérité doit, comme mort en soy-même, suer et trembler maintes fois, endurer la faim, la soif, les longues vigiles... C'est la Gloire, seule eschelle par les degrés de laquelle les mortels d'un pied léger montent au ciel et se font compagnons des dieux (1). »

Remarquez ce ton. Vous discernerez, sous des réminiscences d'Horace, le langage dont se sert, en ses Mémoires, le maréchal de Montluc, lorsqu'il exhorte et regaillardit les jeunes officiers qui veulent monter victorieusement à l'assaut des places fortes. Les combattants de la Pléiade (qu'on appelait aussi, ne l'oublions pas, la Brigade) étaient, à leur guise, des guerriers intrépides. Non seulement ils se proposaient d'enrichir et de transformer notre vocabulaire, mais encore ils voulaient tenter toutes les aventures, annexer à la France un immense empire, l'Epopée, l'Ode, la Satire, la Comédie, la Tragédie, toutes les provinces qui avaient été jusqu'alors l'apanage exclusif de l'antiquité. Ils voulaient que le génie français prît la direction de l'humanisme, fût l'interprète de la civilisation tout entière, et (comme dira plus tard Voltaire) le secrétaire de l'esprit humain. Le grand rêve encyclopédique qui, à intervalles presque réguliers, renouvelle et vivifie, par une énergique annexion des littératures étrangères, la littérature de notre pays, fut le stimulant de leur activité. Ces amants de l'antiquité avaient confiance en l'avenir. Ces chevaliers du passé étaient des artisans de progrès. Et même, puisqu'il n'y a pas de solution de continuité dans l'évolution des caractères, je retrouve, chez ces représentants du seizième siècle, quelques traits de ce Moyen Age qu'ils n'ont pas voulu comprendre et dont ils continuent, sans le

(1)[Joachim du Bellay, Défense et illustration de la langue françoise, livre I, chap. Ix, livre II, chap. v, et passim.

savoir, les traditions de magnanimité. Ils ont eu confiance, comme les héros de la Table-Ronde, dans la droiture de la nature humaine et dans la bonté de l'univers. Comme les chevaliers du saint Graal, ils poursuivent, par leur aventureuse chevauchée à la conquête de l'idéal et du réel, le but indiqué par nos épopées nationales. Ces chercheurs de la Toison d'Or brandissent la plume avec des gestes dignes du roi Arthur et de Perceval.

Quels services ils nous ont rendus! Un maître que je ne me lasse pas de citer et qui n'est pas suspect de vouloir diminuer la part du Moyen Age dans notre formation nationale, nous dit expressément: « Il fallut à notre poésie l'impulsion du dehors, le grand souffle de la Renaissance italienne enfin venu jusqu'à elle, et la trompette de du Bellay, pour retrouver des ailes et reprendre vers de nouveaux cieux le grand vol qu'elle avait désappris. >>

Honorons les poètes de la Renaissance. Ah! les généreux et gentils esprits! Comme ils ont aimé l'amour, la nature, l'art, la gloire et, par-dessus tout, la patrie!

Il faut ne les avoir point lus pour prétendre que leur hellénisme, un peu hauffé, aboutit à je ne sais quel méfait qu'un jargon pédantesque appelle la « dénationalisation ». Leur nostalgie, dès qu'ils ont franchi nos frontières, soupire après le clocher natal et désire revoir, autour de ce clocher, quelque chose encore de plus grand et de plus sacré. Du Bellay regrettait la << douceur angevine », mais il disait aussi :

France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle;
Ores, comme un agneau que sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois (1).

Ronsard, témoin des guerres de religion, se lamentait sur les discordes fratricides qui divisaient la France contre elle-même. Et il renonçait à ses Gaietés et à ses Epigrammes pour décrire les Misères de ce temps.

O toy, historien qui d'encre non menteuse
Escris de notre temps l'histoire monstrueuse,
Raconte à nos enfants tout ce malheur fatal,
Afin qu'en le lisant ils pleurent nostre mal,

Et qu'ils prennent exemple aux péchés de leurs pères
De peur de ne tomber en pareilles misères (2).

Et ce même Ronsard refuse de croire, au milieu des désastres et des catastrophes, que les destins de la nation française soient

(1) Joachim du Bellay, les Regrets.

(2) Ronsard, Discours des misères de ce temps.

révolus. Elle se relèvera de ses défaillances. Et ses blessures seront guéries, parce qu'elle ne doit pas, elle ne veut pas mourir :

Le Français semble au saule verdissant:

Plus on le coupe et plus il est naissant,

Et rejetonne en branches davantage

Et prend vigueur dans son propre dommage.

Si enfin nous sortons du cercle paisible de la Pléiade, si nous suivons, parmi les lances et les épées, le plus rude et le plus violent des poètes de ce temps-là, l'obstiné combattant des guerres civiles, ce grand Agrippa d'Aubigné qui écrivait ses poèmes entre deux batailles, balafré d'estocades, noir de poudre, le bras gourd à force d'avoir frappé ce d'Aubigné qui, couché dans l'herbe, son harnais débouclé, le sang lui coulant de partout, les yeux brûlés d'insomnie, les dents claquant de fièvre, improvisait les Tragiques, admirable apocalypse où la haine et l'amour, la folie et la raison, la colère et la pitié ont suscité une féerie d'images délirantes, de furieux cauchemars et de radieuses visions — si nous le suivons par monts et par vaux, d'Amboise à Orléans et de Jarnac à Castel-Jaloux, que voyons-nous, en fin de compte? Un soir, ce capitaine d'arquebusiers regarde du haut de son cheval de guerre

Le champ couvert de morts sur qui tombe la nuit.

Il songe aux campagnes dévastées, aux « reîtres noirs » qui pillent les chaumières, à la terreur des villes,

Quand les grondants tambours sont battants entendus.

Il revoit des scènes horribles, cette prise du bourg de Montmoreau où, poussant une porte, il vit un enfant dans son berceau, pleurant auprès du père mort et de la mère agonisante :

De l'enfantine bouche

L'âme plaintive allait, en un plus heureux lieu,

Esclater sa clameur au grand trône de Dieu...

Alors, le farouche cavalier baisse la tête; il rejette au loin. son épée, souillée du sang de ses frères. Il se dit à lui-même douloureusement:

Je veux peindre la France une mère affligée...

Et ce chant sublime, cette doléance de la conscience nationale, éveillée dans l'âme d'un chef de partisans, s'élève et se prolonge au-dessus des carnages et des incendies. La littérature n'est plus un luxe de cour, ni un divertissement de Décameron. Elle assume le rôle social qui lui est départi par l'assentiment de tout un siècle. Elle se voue à l'oeuvre qui seule est pleinement digne

de la noblesse des lettres: l'œuvre de réconciliation et de pacification.

Au moment où nos poètes, jusque dans des camps opposés, soutenaient instinctivement la même cause, la dynastie des Valois, appauvrie, s'étiolait en une dernière poussée de rejetons malingres et inquiétants. Le pâle sourire]de François II s'étail vite effacé dans le mystère des résidences royales. La triste figure de Charles IX avait aigri le venin des guerres civiles. Le bizarre Henri III avait déplu aux foules par l'étrange aspect de sa personne et de ses mœurs. La France était assourdie de querelles théologiques. Sous le sceptre des royautés blêmes, on a beaucoup haï, beaucoup persécuté, beaucoup souffert.

Le peuple de France en avait assez de tout ce fiel, de toute cette bile, de tout ce sang. Quand les spectres de guerre civile furent exorcisés, l'applaudissement public accueillit Henri IV, le Béarnais joyeux, l'homme fort qui se livrait sans hypocrisie à la joie d'aimer. Le rire sonore de ce nouveau venu imposa silence aux vociférations des trouble-fêtes. La nation française acclama le gai parleur qui parlait franc, le cavalier qui besognait bellement contre les ennemis de la paix publique, l'homme d'esprit qui, d'un mot et d'un geste, sut remettre à la mode, sous notre ciel indulgent, les vertus agréables dont l'humanité a besoin pour adoucir la vie et pour parer la mort. Le nom de Henri IV fut populaire, parce que c'était le nom d'un pacificateur. Chez nous, le dernier mot reste toujours aux ouvriers d'union, aux artisans de concorde, aux médiateurs dont l'intervention a ramené, de siècle en siècle, le calme dans nos âmes, l'ordre dans nos rues, la prospérité dans nos maisons, la victoire sous nos drapeaux.

S'il est vrai qu'aucun effort n'est perdu dans l'œuvre totale d'une nation, nous pouvons affirmer dès maintenant et nous démontrerons bientôt que les poètes français du seizième siècle ont contribué à préparer l'ère inoubliable où la France parut alteindre son plus haut degré de puissance.

Que cette introduction à l'étude de leurs chefs-d'œuvre soit donc pour eux, dès aujourd'hui, un acte de reconnaissance et un souhait de bienvenue. Ils viendront, un à un,comme des ancêtres vénérables, comme des amis, nous entretenir de leurs espérances, de leurs déceptions, de leurs longues douleurs, de leurs brèves joies, et nous confier ce qu'il y eut de meilleur au fond de leur esprit et de leur cœur. Nous étudierons leurs poèmes sans préjugés préalables et sans théories préconçues, en détail et avec de minutieux scrupules, conformément à la dignité de la science, selon les méthodes enseignées et appliquées par les maîtres de la critique

historique. Nous essayerons de constituer leur biographie, de retracer le tableau de leur existence, de retrouver ce qui fut pour eux, dans la trame de la réalité vivante, un sujet de rêve ou une occasion de poésie, estimant qu'il n'y a rien de plus intéressant que la vie et de plus respectable que la vérité.

GASTON DESCHAMPS.

La civilisation de l'âge homérique

Cours de M. ALFRED CROISET,

Professeur à l'Université de Paris.

Le culte des morts et la vie future.

A côté du culte des dieux, on trouve chez Homère un culte des morts et des héros, qui est comme une autre forme de la religion. Les pratiques et les rites de ce culte sont souvent détaillés dans les poèmes homériques, et il est intéressant de se demander à quelle croyance religieuse, à quelle idée morale, ils correspondent.

Cette question est d'une importance historique considérable. On sait que Fustel de Coulanges a construit tout l'édifice de sa Cité antique sur cette idée fondamentale: l'union du culte du foyer au culte des ancêtres et des morts, et l'extension du culte domestique à la tribu et à la cité. Herbert Spencer, dans son ouvrage sur la sociologie, a repris cette idée en lui donnant un plus grand développement et la forme dogmatique d'une théorie: il tente de démontrer que, chez les anciens, la religion presque tout entière dérive de cette origine unique; que le culte des morts, à une époque antérieure et qu'il est impossible de préciser, eut un tel développement qu'il a pu être la source de tous les autres cultes, et que la religion homérique elle-même n'est qu'une forme dérivée de cette religion primitive. L'intérêt de cette question est donc incontestable pour qui veut faire l'histoire des idées et des institations dans le monde ancien, et en particulier dans le monde. homérique. Mais une telle théorie, séduisante dans Fustel de Coulanges par la précision des arguments et la finesse des déductions, intéressante encore chez Herbert Spencer par sa rigueur absolue et ses lointaines conséquences, est peut-être arbitraire dans son principe: elle ne répond pas complètement et scientifi

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