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Qui ne croirait

que la première doit triompher sans peine? Tous les hommes éclairés le pensent; tous sourient quand un bruit sourd et confus leur apprend l'existence de quelques fanatiques, épars, inconnus, persé

cutés.

D'où vient que l'évènement trompe ces superbes prévoyances? C'est que le sentiment religieux, séparé de la forme ancienne, s'est réfugié dans la nouvelle, et pourquoi ? Parce que la forme antique, malgré les épurations qu'on voudrait bien lui faire subir, lui rappelle les époques où il l'a rejetée, impatient qu'il était de ses vices et de ses imperfections. Le nom de ses dieux se rattache à des souvenirs de grossièreté et d'ignorance. Froissée en tout sens par les investigations humaines, elle est dépouillée de son charme, et, pour ainsi dire, profanée. La forme nouvelle, au contraire, est vierge de tout souvenir fâcheux. Le nom de son fondateur et du dieu qu'il enseigne ne retrace aucune époque où elle ait blessé le sentiment religieux. Il s'y voue donc avec enthousiasme : il adopte son étendart, c'est par la bouche de ses sectateurs qu'il parle. Ils lui doivent cette conscience de force

et de certitude qui contraste dans leur langage avec la timidité et l'hésitation du langage de leurs adversaires. Les apôtres de la forme nouvelle marchent entourés de miracles, incontestables par cela seul, que ceux qui les affirment sont pleins d'une inébranlables conviction. Les défenseurs de la forme ancienne s'appuient avec embarras sur des prodiges dont eux-mêmes doutent, copies effacées d'inimitables modèles. Les premiers se servent sans crainte et de la raison et de la foi, de la raison contre leurs ennemis, de la foi pour leur propre doctrine ils ne craignent point de compromettre par la dialectique une cause qui ne saurait être compromise: leur arme offensive est l'examen, leur égide une persuasion intime et profonde. Les seconds balancent entre la raison qui les menace, et un enthousiasme qui pâlit devant l'enthousiasme opposé. Le scepticisme qu'ils veulent diriger contre leurs adversaires réagit contre eux, et précisément parce qu'ils ne sont pas fermes dans leur croyance, ils sont timides dans leurs négations. Leurs plaidoyers plus ou moins habiles sont empreints de condescendances, d'aveux arrachés et rétractés.

d'insinuations qui laissent apercevoir que la religion qu'ils recommandent n'est un appui que pour les faibles, et que les forts peuvent s'en passer. Or, ils se mettent au nombre des forts, et l'on est mauvais missionnaire quand on se place au-dessus de sa propre profession de foi.

On pourrait croire qu'ils ont plus de zèle parce qu'ils ont un motif de plus. Ils sont excités par leur intérêt, tandis que les martyrs de l'opinion qui s'élève sont loin du moment où sa victoire procurera des avantages personnels à ses partisans. Mais le désintéressement est la première des puissances, et lorsqu'il faut entraîner, persuader, convaincre, l'intérêt affaiblit, au lieu de fortifier.

Remarquez comme toutes les notions se groupent autour du sentiment religieux, et dociles à son moindre signe, se modifient et se transforment pour le servir. Dans la croyance ancienne que la philosophie avait subjuguée, l'homme était rabaissé au rang d'atome imperceptible dans l'immensité de cet univers. La forme nouvelle lui rend sa place de centre d'un monde, qui n'a été créé que pour lui: il est à la fois l'œuvre et

le but de Dieu. La notion philosophique est peut-être plus vraie mais combien l'autre est plus pleine de chaleur et de vie; et, sous un certain point de vue, elle a aussi sa vérité plus haute et plus sublime. Si l'on place la grandeur dans ce qui la constitue réellement, il y a plus de grandeur dans une pensée fière, dans une émotion profonde, dans un acte de dévouement, que dans tout le mécanisme des sphères célestes.

Aussi voyez la forme vieillie proposer sans cesse des transactions: mais ces offres n'obtiennent qu'un refus dédaigneux. Chose remarquable! A n'en croire que les dehors, c'est la force qui transige, et c'est la faiblesse qui veut le combat. C'est que la véritable force est tout entière du côté de la faiblesse apparente. La forme ancienne est morte, elle n'aspire qu'au repos des morts. La forme nouvelle veut lutter et vaincre, parce que, pleine du sentiment religieux, elle a ranimé la vie de l'ame et réveillé la poussière des tombeaux.

CHAPITRE VI.

De la manière dont on a jusqu'ici envisagé la religion.

Sr maintenant nous appliquons les réflexions qu'on vient de lire à la manière dont on a jusqu'ici écrit sur la religion, l'on sera peu surpris que presque tous ceux qui ont voulu aborder ce vaste sujet aient fait fausse route. Trois partis se sont formés qui, faute d'avoir conçu la nature et la marche progressive du sentiment religieux, sont tombés tous les trois dans de graves erreurs (1).

(1) En plaçant sur la même ligne les trois partis dont nous allons parler, et en qualifiant d'erreur le motif qui a porté le premier à maintenir par la force ce qui s'écroulait, nous avons employé peut-être une expression trop douce. Souvent il n'y a point eu erreur, mais calcul. Les

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