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de pouvoir. Cette même liberté, le sentiment religieux la revendique pour ce qui regarde les rites et les abstinences. Il proclame l'homme affranchi de toutes les obligations factices, nul ne peut lui imposer un devoir imaginaire (1). Il ne saurait être souillé par rien d'extérieur, aucun jeûne ne lui est prescrit, aucune nourriture ne lui est interdite (2); tant le senti

<< ment chrétiens et à l'abri de toute crainte. » (Saint JUST. Apol. II). « Gloire, honneur et paix à tous ceux qui ont « fait le bien, soit juifs, soit chrétiens. » (Saint CHRYS. Homél. 36, 37). Si on examine attentivement toutes les querelles, toutes les persécutions, tous les massacres religieux qui suivirent la conversion de Constantin, on verra que toutes ces choses si affligeantes ont pris naissance dans les efforts de quelques hommes pour donner à la religion nouvelle une forme dogmatique.

(1) La confession même n'était pas considérée comme obligatoire. Saint Jean Chrysostome dit formellement (Homel. II, in psalm. 50), qu'il faut se confesser à Dieu, qui sait tout, et qui ne reproche jamais les fautes qu'on lui a révélées : « Je ne veux pas, ajoute-t-il, forcer << les hommes à découvrir leurs péchés à d'autres hommes.

(2)« Le Christ a effacé l'obligation qui était contre « nous, laquelle consistait dans les ordonnances.... Que << personne donc ne vous condamne au sujet du manger « ou du boire, ou pour la distinction d'un jour de fête, ou

ment religieux, à cette époque de sa renaissance, prend soin de se déclarer indépendant des formes, et tant il redoute de ternir sa pureté par des pratiques qui le rapprocheraient des cultes vieillis qu'il a dédaignés.

« de nouvelle lune, ou de sabbat; car ces choses n'étaient <«< que l'ombre de celles qui devaient venir.... Pourquoi « donc vous charge-t-on de ces préceptes.... en vous « disant ne mangez point de ceci.... préceptes qui sont <«< tous pernicieux par leurs abus, n'étant fondés que sur « des ordonnances et des doctrines humaines. » ( Épit. de saint Paul aux Coloss. ch. II, v. 14, 16, 17, 21 et 22). Nous pourrions citer encore l'autorité de saint Pierre, autorité plus imposante, parce que saint Pierre était bien plus attaché au judaïsme que saint Paul, et qu'il eut besoin d'une vision miraculeuse pour renoncer aux abstinences de l'ancienne loi (Act. des Ap. ch. X, v. 13, 14 « et 15). « Le chrétien, dit Tertullien, ne peut être « souillé par rien d'extérieur; Dieu ne lui a prescrit aucun « jeûne, il ne lui a défendu aucun aliment; ce qu'il lui à interdit, ce sont les actions qui sont mauvaises; ce qu'il « lui a ordonné, ce sont les actions qui sont bonnes. (de Jej. adv. Psych.)

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CHAPITRE III.

Que l'effet moral des mythologies prouve la distinction que nous voulons établir.

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Ce n'est

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pas seulement pour comprendre la marche générale de la religion qu'il faut distinguer le sentiment religieux d'avec ses formes, il faut aussi reconnaître cette distinction pour résoudre des questions de détail qui ont présenté jusqu'à ce jour d'insurmontables difficultés.

Des nations puissantes et policées ont adoré des dieux qui leur donnaient l'exemple de tous les vices. Qui n'eût pensé que ce scandaleux exemple devait corrompre les adorateurs? Au contraire, ces nations, aussi long-temps qu'elles sont restées fidèles à ce culte, ont offert le spectacle des plus hautes vertus.

Ce n'est pas tout. Ces mêmes nations se sont détachées de leur croyance, et c'est alors

qu'elles se sont plongées dans tous les abîmes de la corruption. Les Romains, chastes, austères, désintéressés, quand ils encensaient Mars l'impitoyable, Jupiter l'adultère, Vénus l'impudique, ou Mercure le protecteur de la fraude, se sont montrés dépravés dans leurs moeurs, insatiables dans leur avidité, barbares dans leur égoïsme, lorsqu'ils ont délaissé les autels de ces divinités féroces ou licencieuses.

D'où vient ce phénomène bizarre? Les hommes s'amélioreraient-ils en adorant le vice? Se pervertiraient-ils en cessant de l'adorer?

Non, sans doute; mais aussi long-temps que le sentiment religieux domine la forme, il exerce sur elle sa force réparatrice. La raison en est simple: le sentiment religieux est une émotion du même genre que toutes nos émotions naturelles; il est, en conséquence, toujours d'accord avec elles. Il est toujours d'accord avec la sympathie, la pitié, la justice, en un mot, avec toutes les vertus (1). Il s'en

(1) Un écrivain, qui ne manque ni d'habileté ni de talent, a tenté d'obscurcir cette vérité. Il a frappé d'anatheme le sentiment religieux. Il l'a peint d'abord comme

suit qu'aussi long-temps qu'il reste uni avec une forme religieuse, les fables de cette reli

n'existant pas, ensuite comme précipitant l'homme dans les excès les plus déplorables. Nous avons senti qu'une discussion prolongée romprait tout le fil de nos idées ; et ne voulant pas néanmoins laisser sans réponse des assertions qui, présentées avec un certain art, pourraient produire quelque impression, nous consacrerons cette note à l'examen un peu détaillé du système de M. de la Mennais. Il nous a beaucoup facilité notre tâche; car on verra que ses contradictions nous fourniront, à elles seules, la plupart des réponses dont nous avons besoin pour le réfuter.

"

L'auteur de l'Essai sur l'indifférence en matière de religion, demande ce qu'est le sentiment religieux: « Aucun dogme, dit-il, n'est écrit dans notre cœur; et Dieu n'existait pas pour nous avant qu'on nous l'eût nommé (tom. II, pag. 194). »

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Il pense de la sorte dans son second volume. Voici quelle était sa pensée, lors de la publication du premier: « La religion, disait-il, est si naturelle à l'homme, que peut-être il n'est pas en lui de sentiment plus indes<«<tructible. Même lorsque son esprit la repousse, il y a « encore dans son cœur quelque chose qui la lui rappelle: « et cet instinct religieux qui se retrouve dans tous les « hommes est aussi le même dans tous les hommes. En« tièrement à l'abri des écarts de l'opinion, rien ne le « dénature, rien ne l'altère. Le pauvre sauvage, qui « adore le grand esprit, dans les solitudes du nouveau

monde, n'a pas sans doute une notion aussi nette et

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