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sur les bords du Don (*). Ils montaient et marchaient tour à tour; mais quand ils atteignirent un vieux pont jeté sur la rivière (**), Byron arrêta l'écolier et le supplia de mettre pied à terre et de le laisser passer seul avec le cheval, parce qu'il existait une vieille prophétie populaire qui disait que le pont de Balgounie tomberait si le fils unique d'une veuve et le seul poulain d'une jument y passaient à-la-fois. « Et qui sait, dit-il, si ce poulain n'est pas le seul enfant d'une jument, et nous sommes tous deux fils de veuves; mais toi, tu as une sœur; et moi, personne que ma mère ne me pleurera. » Son camarade céda; mais aussitôt que Byron eut échappé aux dangers de ce terrible passage, l'autre enfant voulut absolument le tenter aussi. Il arriva sans accident sur l'autre bord, et

(*) Petite rivière qui a son embouchure près d'Aberdeen.

(**) « Le pont du Don, près de la vieille ville d'Aberdeen, avec sa grande arche, et le noir et profond courant qui passait au-dessous, est aussi pré« sent à ma mémoire que si je l'avais vu hier. Je me rappelle encore, quoia que peut-être je le cite mal, le terrible proverbe qui me fit m'arrêter « avant de le traverser, puis ensuite m'appuyer sur la rampe avec un « plaisir enfantin; car j'étais fils unique, du moins du côté de ma mère. « Le dicton, s'il m'en souvient bien, ( je ne l'ai ni vu écrit, ni entendu depuis l'âge de neuf ans), était ainsi conçu :

Brig of Balgounie, black's your wa';
Wi' a wife's ae son and a mear's ae foal,
Doun ye shall fa'!

Pont de Balgounie, votre mur est noir; si un fils unique et l'u-nique poulain d'une jument passent à-la-fois sur vous, vous tomberez. (Note de LORD BYRON.)

tous deux en conclurent très sérieusement que la mère du petit cheval avait eu d'autres poulains.

Pendant son séjour à l'école d'Aberdeen, Byron, quoique fort jeune, vivait déjà un peu à l'écart. Ses camarades se plaignaient de sa réserve et d'une sorte de dignité qu'ils prenaient pour du dédain. Cependant, tous s'accordaient à lui trouver de la générosité et un cœur chaud. Il supportait impatiemment les railleries sur son infirmité (*). En général, toute injustice le révoltait. Il faillit un jour être victime d'un malentendu. On voulut le fouetter pour une faute qu'il n'avait pas commise. Le surlendemain, arriva la nouvelle de la mort de son grand-oncle qui lui laissait, avec son titre, une fortune immense. On l'inscrivit sur la liste des écoliers comme Seigneur de Byron. Au moment de l'appel, on le nomma Dominus de Byron. Un de ses camarades lui demanda pourquoi on lui donnait ce titre; il répondit : « Je n'y suis pour rien. Hier, le hasard a manqué me faire fouetter pour ce qu'un autre avait fait; aujourd'hui, il me fait lord, parce qu'un autre a cessé de vivre. Dans tous les cas, je ne lui dois point de remercimens, car je ne lui ai rien demandé. » Le jeune Byron avait alors dix ans.

Cette élévation soudaine ne lui causa pas une grande joie. Quelques-uns de ses compagnons

(*) Il était venu au monde avec un pied contrefait.

s'éloignèrent de lui par envie ou par fierté ; l'habitude d'un respect servile pour le rang retint les autres à distance, et il se trouva presqu'isolé. Il en éprouva un si vif chagrin, qu'il lui arrivait par fois d'en fondre en larmes.

Son tuteur, le comte de Carlisle, le fit passer au collége d'Harrow; mais il n'y apporta point cette disposition à la docilité, si nécessaire pour les études. Accoutumé à juger par lui-même, ennemi né de la routine, il trouva le système d'éducation absurde. Il se moqua du pédantisme des professeurs et de la nullité des élèves. Il découvrit avec dégoût l'espèce de culte qu'on rendait à l'argent et aux titres (*). Là commença son mépris pour les hommes. Après un séjour de six ans à Harrow, il se rendit au collège de la Trinité à Cambridge. Son amour pour l'indépendance n'avait fait que s'accroître; il offensa l'orgueil des docteurs, en ne voulant s'astreindre à aucune des règles de l'instruction. Il s'appliquait surtout à l'étude des langues anciennes et modernes.

(*) Voyez dans les poésies fugitives: Thoughts suggested by a College examination.

CHAPITRE III.

ABBAYE DE NEWSTEAD.

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PROFESSION DE FOI DE LORD

HEURES D'OISIVETÉ. LES BARDES AN

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GLAIS ET LES CRITIQUES ÉCOSSAIS.

Il avait dix-huit à dix-neuf ans, lorsqu'il prit possession de Newstead-Abbey, dans le Nottinghamshire. Cet édifice, d'une construction gothique et irrégulière, passe pour une des curiosités du comté. Il fut fondé par des moines de l'ordre de St.-Augustin, et donné par Henri VIII à l'un des ancêtres de lord Byron. Ses dépendances et ses richesses sont considérables. L'aspect en est triste et imposant. Noircie par les siècles, la façade majestueuse de l'église est couverte d'ornemens sculptés. Une grande arcade à jour s'élève au-dessus du portail, et laisse voir, dans l'intérieur, de longues aiguilles ciselées. A gauche, sur un plan plus reculé, sont les bâtimens qui servaient de couvent, et qu'habitent ordinairement les seigneurs de cette terre.

L'architecture gothique qui laisse un si grand essor au génie de l'homme, aurait dû naître chez

les Anglais. S'ils ne l'ont pas inventée, ils l'ont du moins variée à l'infini; et leur pensée s'y montre aussi indépendante que dans leur littérature. C'est un ensemble de défauts bizarres et de beautés sublimes, mais toujours-conçus et exécutés avec une entière liberté. Presque tous les beaux édifices de l'Angleterre sont gothiques; on n'a pas, comme en France, la barbare manie de tout détruire pour rebâtir à la moderne. La nation et les individus protègent le passé et l'entourent d'un saint respect; on soigne les jouissances de l'imagination. Il faut aux Anglais d'antiques manoirs, des ruines, des mystères; tout ce qui, enveloppé dans les brouillards du temps, ou dans le vague de l'inconnu, leur permet de rèver, de deviner, de créer. Je sais bien que c'est un prestige de plus en faveur de l'aristocratie; mais c'est la cause de la poésie que je plaide, et non celle de la justice. Où se réfugieraient les arts et les muses, s'ils étaient condamnés à habiter les champs gras et fertiles de la Flandre ?

Ce fut à Newstead-Abbey que lord Byron composa son premier ouvrage, Les heures d'oisiveté. On y trouve des pensées fortes, exprimées en vers faibles; des sentimens pleins d'ardeur et de générosité (*), et une profession de foi qui contient tout son avenir. Elle est dans une épitre adressée

(*) Voyez la réponse à l'impromptu qui parut dans les journaux sur la mort de Fox.

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