Page images
PDF
EPUB

pour le rendre plus national et faire respecter davantage ses décisions, cet usage n'étoit pas constant.

Philippe-Auguste établit l'institution de la pairie, et rendit les pairs membres du parlement de Paris, pour en augmenter l'importance par un simulacre de l'ancien baronnage national, sans diminuer en rien, par ce moyen, l'influence royale. Si, en réunissant la Normandie à la couronne, il avoit donné aux principaux barons et ecclésiastiques normands le droit d'être membres du parlement de Paris, et que ses successeurs eussent fait de même dans les différentes provinces dont ils se rendirent successivement les maîtres, le parlement de Paris seroit devenu un vrai parlement national, comme celui de l'Angleterre, et les députés des villes principales auroient fini naturellement par y être admis. Mais Philippe, comme ses successeurs, trouva qu'il valoit mieux pour lui de laisser exister séparément les parlemens ou Etats1 des provinces qu'il réunit, que de les agréger au parlement de France. Saint Louis appela une fois dans le parlement un bon nombre de grands seigneurs et prélats de tout le royaume, et des députés de plusieurs villes; de manière que ce parlement fut exactement le même que le parlement d'Angleterre de la même époque; mais cet exemple ne fut suivi ni par lui-même, ni successeur, Philippe-le-Hardi, qui, au contraire, dégoûta, autant qu'il put, les grands seigneurs de se rendre au parlement.

par son

Ce fut Philippe-le-Bel qui donna le plus grand coup à l'autorité du parlement par son invention des Etats-Généraux, lesquels, quoi qu'en disent les auteurs à systèmes, n'ont jamais existé avant son règne. En ne laissant venir aux Etats les prélats et les grands seigneurs que par députation, et en les confondant ainsi avec le reste de la noblesse et du clergé, il leur ôta toute leur importance; bornant aussi les fonctions des Etats à émettre des doléances, il les réduisit presque à rien. Philippe, en rabaissant le parlement par ce nouveau moyen, ne voulut pourtant pas s'ôter tout-à-fait l'appui de son autorité comme cour politique. C'est une grande erreur d'imaginer qu'il en exclut tout d'un coup les barons et les chevaliers; ceux-ci cessèrent peu à peu d'eux-mêmes de s'y rendre; mais les pairs de France, qui étoient censés représenter l'ancien baronnage, en faisoient toujours partie. Le parlement de Paris, sous Louis XVI, quoique sa forme et sa composition eussent éprouvé bien des changemens, descendoit en droite ligne des an

! Parlement, Etats, Echiquiers, étoient des mots différens pour désigner le même corps, selon les différentes provinces. Les Etats de Bretagne s'appelèrent Parlement jusque vers la fin de l'indépendance de ce duché, époque où on établit une cour souveraine de justice sous le nom de Parlement. Čes Etats, dans leur composition, ressembloient beaucoup aux anciens parlemens de France et de l'Angleterre.

ciens parlemens; et son droit de remontrances, qu'on a traité de droit usurpé, n'étoit qu'un reste de ses anciens priviléges.

Suite de l'histoire du Parlement de l'Angleterre.

Mais revenons au parlement anglais. Sous les premiers rois de race normande, il étoit composé des prélats, des grands barons et des chevaliers relevant de la couronne. Il n'est pas clair que tous les barons, et surtout que tous les chevaliers eussent originairement le droit de se rendre au parlement sans être convoqués le par roi: l'opinion négative est la plus probable; mais il est certain qu'à l'origine du parlement, les rois ne convoquoient jamais que des nobles ayant des baronnies, ou des fiefs de chevaliers. Au reste, la plupart des chevaliers, et même des barons, ne se soucioient guère d'exercer un droit qu'ils regardoient comme onéreux; et les rois étoient obligés d'envoyer, à chaque session nouvelle, des lettres de convocation à ceux dont ils désiroient plus particulièrement la présence. De là s'établit l'usage que personne ne pouvoit se rendre au parlement sans lettre de convocation; mais en même temps il s'établit insensiblement cet autre usage, que tout baron ou chevalier qui avoit été convoqué un certain nombre de fois de suite, avoit acquis le droit de l'être toujours, et de le transmettre à son héritier. Comme tous les barons n'acquirent pas ce droit, on appela les uns barons parlementaires, pour les distinguer des autres qu'on nommoit simplement barons territoriaux. Parmi les barons parlementaires, on distinguoit aussi ceux qui étoient convoqués à raison de leurs baronnies, de ceux qui n'avoient d'autres titres que d'être nobles, et d'être mandés par le roi: on appeloit les uns barons parlementaires par tenure, et les autres barons parlementaires par writ ou écrit. Ensuite, au déclin du système féodal, à la fin du quatorzième siècle, les rois se permirent de créer des pairs par lettres patentes, et par ce moyen ils accordoient la noblesse et la pairie en même temps. Ces trois sortes de pairs laïcs existent encore aujourd'hui; mais il n'y a plus qu'une seule baronnie en Angleterre (celle d'Arundel), qui donne à son possesseur le droit d'être mandé à la chambre des pairs.1 Les

Cette baronnie parlementaire est possédée depuis plusieurs siècles par la maison de Howard, héritière par les femmes des anciennes maisons de Fitzalan et Mowbray. Une demoiselle, Fitzalan, dernière de sa race, l'a portée par mariage dans la famille Mowbray, et une demoiselle Mowbray l'a portée de même dans la famille de Howard; de manière que cette baronnie, qui donne le titre de comte, n'a jamais été vendue. Elle consiste dans le château seul d'Arundel, dont la possession par un acte de Parlement moderne, fait d'accord entre la couronne et la maison Howard, est attachée irrévocablement au duché de Norfolk, titre principal du chef de cette maison.

évêques et les abbés mitrés étoient d'abord appelés au parlement comme grands dignitaires de l'Eglise, puis comme barons féodaux; ils étoient convoqués individuellement dans le commencement, selon le plaisir des rois, puis ils acquirent le droit prescriptif d'être membres réguliers du parlement, comme pairs ecclésiastiques.' Quant aux comtes ou gouverneurs des provinces, ils étoient tous membres du parlement; et quand le titre de comte devint personnel, ainsi que celui de vicomte, marquis ou duc, celui à qui le droit l'accordoit, devenoit pair héréditaire; mais ils étoient tous confondus sous le nom général de barons.

Origine des CHEVALIERS ou Députés des Comtés.

Outre les pairs spirituels et temporels, on trouve dans le parlement, au commencement du treizième siècle, un certain nombre de députés des barons non parlementaires, et des chevaliers relevant du roi. On appeloit alors ces barons et chevaliers les petits barons, barones minores, pour les distinguer des barons parlementaires, qu'on appeloit les grands barons, barones majores. Selon le système féodal, ces deux sortes de barons étoient parfaitement égaux, puisqu'ils relevoient également de la couronne; mais quand le parlement acquit une certaine importance politique, ceux qui en étoient membres héréditaires commencèrent à se croire supérieurs à ceux de naissance égale, qui ne l'étoient pas. Il est probable que pour la même raison, ces barons, qui autrefois ne se soucioient nullement d'être membres du parlement, commencèrent à ambitionner cet honneur; et, étant trop nombreux pour être tous admis à la fois au parlement, on imagina de les faire venir par députation. A chaque nouveau parlement, les rois écrivoient au sheriff ou gouverneur civil de chaque comté ou province, d'assembler les petits barons du comté pour leur faire élire tant de députés qui les représentassent au parlement. Le nombre de ces représentans varioit selon les ordonnances des rois; mais enfin il fut fixé à deux pour chaque comté. On ne sait pas au juste l'époque où cette représentation eut lieu pour la première fois; il est probable que l'usage s'en introduisit peu à peu, mais on le trouve régulièrement établi avant le milieu du treizième siècle. Les députés des chevaliers siégeoient dans la même salle que les pairs; et, quoique leurs inférieurs par leur qualité de représentans, ils étoient leurs égaux sous le rapport de la naissance. Ils ressembloient beaucoup aux

* Les pairs ecclésiastiques ou spirituels, comme les Anglais les appellent, votoient anciennement séparés des pairs laïcs ou temporels, et formoient un ordre à part; mais peu à peu les votes de ces deux sortes de pairs se confondirent; et depuis plusieurs siècles ils ne forment réellement qu'un seul ordre.

pairs d'Ecosse et d'Irlande, qui siégent aujourd'hui dans la chambre haute.

Dans les premiers temps, les tenanciers de la couronne étoient les seuls propriétaires qui eussent le droit de concourir aux élections des chevaliers ou des députés des comtés; et, étant tous des gens plus ou moins considérables, leurs représentans étoient de véritables députés de la noblesse: mais les partages par succession et les ventes des terres relevant des rois, rendirent peu à peu la classe des tenanciers royaux plus nombreuse, et par conséquent moins honorée; de plus on étendit le droit d'élire à tous ceux qui avoient une propriété quelconque en franche tenure. Pour être député, il a toujours fallu avoir un fief de chevalier, et être d'une famille distinguée; mais la considération des députés des comtés a dû diminuer à mesure que le nombre des électeurs augmentoit; et enfin ils finirent par être regardés comme les inférieurs en tout aux pairs héréditaires."

'La pairie d'Ecosse est représentée par seize pairs, celle d'Irlande par vingt-huit pairs. Les pairs irlandais qui ne siégent pas à la chambre haute peuvent représenter les comtés ou villes de l'Angleterre. Les pairs écossais ne peuvent pas être membres de la chambre basse.

2

Quoique les chevaliers ou députés des comtés ne soient plus les égaux légaux des pairs, ils sont toujours nommés parmi les gens les plus considérables de leur province, tant par leur naissance que par leur fortune. Et bien que des fils aînés des pairs ne regardent pas au-dessous d'eux d'être députés d'une ville, il y a dans chaque comté plusieurs gentilshommes non titrés qui ne voudroient aller au parlement autrement que comme députés d'un comté. Dans les premiers temps, comme je viens de le dire, ils n'étoient élus que par les propriétaires des fiefs: mais peu à peu on étendit le droit d'être électeurs à tous ceux qui avoient un bien-fonds quelconque. Enfin, sous Henri VI, on restreignit ce droit à ceux qui avoient un bien-fonds en franche-tenure(freehold), (tenu ni à bail ni à la volonté du seigneur supérieur,) rapportant 40 schelings de rente, somme qui alors équivaloit à près de 40 liv. sterling d'aujourd'hui. On craignoit alors qu'en accordant aux trèspetits propriétaires la faculté de concourir aux élections, on n'y introduisît un esprit trop démocratique. Cependant l'expérience a fait voir que cette crainte étoit mal fondée. Par les changemens arrivés dans la valeur des monnaies, quarante schelings d'aujourd'hui ne représentent que la vingtième partie de la même somme sous Henri VI; et comme le revenu exigé pour être électeur n'a été changé par aucune loi postérieure, un nombre considérable de paysans possédant très-peu de fortune sont devenus électeurs. Cependant les élections sont plus aristocratiques que sous Henri VI. D'abord, plus les électeurs sont nombreux, plus la dépense des candidats est considérable; car, indépendamment des moyens secrets de corruption qu'ils peuvent employer, ils paient les frais de voyage de tous les petits électeurs qui, pour voter pour eux, sont obligés de se rendre au chef-lieu du comté. Puis, par l'effet de l'aristocratie territoriale dont je parlerai tout-à-l'heure, tous ces petits électeurs sont dans la dépendance des grands propriétaires, et, au lieu de leur nuire, leur servent d'auxiliaires pour repousser les hommes de fortune médiocre, ou nouvellement enrichis, ou étrangers au comté, qui seroient tentés de se proposer comme candidats; exemple de plus de l'imprévoyance des hommes sur les résultats des lois nouvelles.-Un autre avan

Origine et UTILITÉ du VETO.

Le parlement ainsi composé, et ne formant qu'une seule chambre, a duré plus de deux cents ans après Guillaume-le-Conquérant. Toutes les lois importantes y étoient délibérées; mais les ordonnances des rois avoient souvent aussi force de loi, surtout quand elles n'étoient pas très-contraires aux intérêts des barons. Les limites entre les pouvoirs exécutif et législatif étoient très-confuses, et il a fallu plusieurs siècles pour les tracer avec précision. Le droit dont le parlement étoit le plus jaloux, parce qu'il en intéressoit à la fois tous les membres, étoit celui d'accorder les subsides. Ce n'est pas que les rois ne levassent quelquefois des impôts particuliers par ordonnances; mais le parlement obtint qu'aucun subside général ne seroit levé qu'avec son consentement.Par la nature des guerres d'outre-mer que les rois d'Angleterre avoient à soutenir pour leurs possessions en France, les services féodaux de leurs vassaux anglais ne pouvoient pas leur être d'un grand secours, et ces services furent changés de bonne heure en des sommes fixes d'argent. Comme ces guerres étoient presque continuelles, outre ces sommes fixes, il falloit demander souvent de nouveaux subsides: le parlement en profitoit pour demander à son tour différentes concessions, que les rois accordoient ou refusoient selon leur degré de pouvoir dans le moment, et le besoin plus ou moins grand qu'ils avoient d'argent. Ces demandes du parlement étoient faites en forme de pétition, et, sanctionnées par l'autorité royale, étoient appelées bills ou actes du parlement, tout comme les lois proposées par le roi, et approuvées par le parlement. Ce droit qu'eurent les rois de rejeter les pétitions du parlement, et qui résultoit naturellement de la position des choses, est l'origine du droit de veto, que les écrivains théoristes regardent comme une invention admirable pour protéger le trône contre les attaques réunies de la démocratie et de l'aristocratie dans le parlement moderne. Au fond, ce droit de veto n'a jamais été qu'un vain mot. Anciennement, quand les barons

tage de l'étendue donnée au droit d'élire, c'est le système de patronage qu'il a rendu plus complet. Les plus grands seigneurs ont un intérêt politique pour traiter avec bienveillance leurs vassaux ou tenanciers; et il s'est établi ainsi une douce réciprocité de services entre les différentes classes des propriétaires.

En raisonnant d'après l'expérience des Anglais, il est permis de croire que le meilleur système d'élection seroit celui où tous les éligibles seroient de la classe aristocratique, en étendant le droit d'élire jusques aux classes de la très-petite propriété. Comme c'est la propriété qui donne le droit d'être électeur, on vote pour l'élection des députés dans tous les comtés et villes où on a une propriété qui donne le droit de voter ; et une maison en franchetenure qui donne le droit de voter dans une ville, donne également le droit de voter pour le comté où cette ville est située.

« PreviousContinue »