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CONSTITUTION

DE L'ANGLETERRE,

ET DES CHANGEMENS PRINCIPAUX QU'ELLE A ÉPROUVÉS, TANT DANS SON ESPRIT QUE DANS SA FORME,

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AVANT-PROPOS.

LA seule ambition d'un homme qui s'exprime dans une langue étrangère doit être de se faire entendre le plus clairement possible. Il faut qu'il renonce à l'espoir d'attirer l'attention du public par les agrémens du discours. Si ceux qui me liront conviennent que quelques-unes de mes idées sont justes, que quelques-uns des faits que je rapporte étoient peu connus, le but de mon travail sera rempli.

Elevé en Angleterre, et ayant passé une grande partie de ma vie en France, j'ai été mieux placé que beaucoup de gens pour connoître et comparer les institutions de ces deux pays. Ni mes voyages ni mes lectures n'ont été entrepris dans la vue d'en publier les résultats. J'ai étudié les hommes et les livres pour satisfaire ma curiosité seulement; et si je me suis trompé dans mes observations, ce n'est pas le temps qui m'a manqué pour les bien faire. Je suis loin d'avoir le talent de ceux qui dissertent avec assurance sur des usages et des institutions dont ils se sont occupés seulement une quinzaine de jours.

Je pourrois faire parade d'érudition, si je citois les ouvrages que j'ai consultés relativement à l'histoire politique de la France et de l'Angleterre ; mais si mes observations ne sont pas justes, on ne me saura aucun gré de mes lectures; et je sais que le vrai savoir dépend de la manière dont on a lu, et non pas du nombre de livres qu'on a feuilletés. Les auteurs français ou anglais qui ont des systèmes si opposés sur des événemens importans de l'ancienne histoire de leurs pays respectifs, ont probablement consulté les mêmes originaux. Quand on voit un homme aussi éclairé que Robertson citer à l'appui de ses opinions, des auteurs qui ne les appuient pas du tout, il faut se méfier des citations.1

1

Voyez son Introduction à l'Histoire de Charles-Quint, où, d'après le système de quelques auteurs français, il veut que le peuple fût admis dans les parlemens ou conseils nationaux de la France sous la première et la seconde race, tandis que ses propres citations démentent ses assertions.

Il y avoit une très-grande ressemblance anciennement entre les institutions de la France et de l'Angleterre. Aussi, quand on trouve quelque point obscur dans l'histoire ancienne d'un de ces pays, le meilleur moyen de l'éclaircir est de consulter celle de l'autre. Mais loin d'employer ce moyen, la plupart des auteurs anglais et français semblent le dédaigner, soit que ce dédain vienne de leurs préjugés nationaux, soit plutôt de leur ignorance respective des usages du pays qui leur est étranger. Voilà pourquoi on trouve tant d'erreurs dans leurs recherches sur les institutions de

leur pays.

Quant aux faits modernes que je cite relativement à la Constitution de l'Angleterre, ils sont connus de tous les Anglais, et je ne crois pas avoir commis la moindre erreur en les rapportant.

Je finis en déclarant que le seul amour de la vérité m'a engagé à publier ce petit écrit: de quelque manière qu'il soit traité par les hommes des différens partis politiques qui agitent maintenant la France, je n'ai aucun intérêt de plaire aux uns plutôt qu'aux autres; car, par ma position comme par mon caractère, personne ne peut influer sur mon sort.

[The London Editor has followed the second Paris edition, with the exception of a few corrections made by the author himself, on a copy sent by him to one of his friends in London. " Though the work was published anonymously, it is no secret in Paris, where it produced a great effect in the political world, that it is written by Mr. Frisell, an English gentleman well known in that capital, where he has chiefly resided for more than thirty years. We may add, that this little work has been much approved of by several of the first political characters in England."]

DE LA

CONSTITUTION

DE L'ANGLETERRE,

ET DES CHANGEMENS PRINCIPAUX QU'ELLE A ÉPROUVÉs, TANT DANS SON ESPRIT QUE DANS SA FORME.

INTRODUCTION.

ON a tant écrit, depuis quelques années, sur la Constitution de l'Angleterre, qu'il semble qu'il n'y a plus rien à en dire. Plusieurs peuples l'ont adoptée à la place de celles qu'ils avoient reçues de leurs pères, et l'on doit croire qu'ils l'ont examinée auparavant avec toute l'attention possible. Une foule de publicistes l'ont commentée; et il n'y a pas un étranger qui, en rendant compte d'un voyage de quinze jours à Londres, n'ait consacré un chapitre ou deux à cette fameuse Constitution. Ils l'ont presque tous regardée comme le chef-d'œuvre de l'esprit humain; et quelques-uns d'entre eux sont près d'insinuer qu'il a fallu que les Anglais fussent doués d'un génie politique particulier, pour avoir pu l'inventer.

De tous les étrangers qui ont commenté avec admiration la Constitution anglaise, c'est le Genevois De Lolme qui est le plus connu. Son livre a eu de la vogue, même en Angleterre. Les Anglais furent charmés des éloges qu'il prodiguoit à leur Constitution, et ils furent disposés à croire que tous ses raisonnemens étoient justes, puisqu'il louoit tant un ordre politique qui les rendoit heureux. Les Anglais en général, et justement parce qu'ils se trouvent bien de l'observation de leurs usages, s'occupent fort peu de théories en fait de gouvernement; leurs auteurs politiques (dont les recherches ont presque toujours un but pratique), quand ils quittent l'examen des faits pour s'élever à des considérations générales, expliquent souvent fort mal l'origine et la nature de leurs propres institutions, faute de les avoir comparées avec celles des autres peuples qui avoient autrefois le même système de gouverne

ment. La plupart d'entre eux, imaginant faussement que leur Constitution a toujours été particulière à leur île, ne se donnent pas la peine d'étudier celles de leurs voisins, et, se privant ainsi de plusieurs sources de lumières, se trompent eux-mêmes, et induisent en erreur les étrangers qui les consultent. Ils ressemblent aux gens qui savent très-bien leur langue par usage, mais, n'en ayant pas approfondi les principes, sont de mauvais maîtres pour la

montrer aux autres.

Tous les auteurs qui ont suivi De Lolme, l'ont copié plus ou moins; et, comme lui, trompés par des mots et par de fausses apparences, ils ne parlent que de la forme extérieure de la Constitution anglaise, et ne disent jamais un mot de l'esprit qui l'anime. Ils répètent tous la même théorie sur les trois pouvoirs qui concourent, par leur opposition, à former le meilleur gouvernement possible. Ils veulent appliquer à la politique les lois de la mécanique, et prétendent expliquer la marche du gouvernement le plus compliqué, par une théorie absurde, même en physique. Deux pouvoirs égaux et opposés, appliqués à une machine, deviendroient nuls, et la laisseroient mouvoir au gré d'un troisième, qui n'auroit rien pour le contrarier. Ou bien, si trois pouvoirs égaux tiroient une machine en trois sens différens, elle ne marcheroit pas du tout. Mais une mauvaise comparaison ne prouve rien contre l'existence d'un fait. Ecoutons donc les assertions de ces messieurs.

:

La Constitution anglaise, selon eux, n'est autre chose que la monarchie, l'aristocratie et la démocratie, existant à la fois comme pouvoirs indépendans et souverains; et c'est des combinaisons différentes de ces trois pouvoirs que résultent les diverses beautés de cette Constitution. Tantôt les trois pouvoirs sont en opposition mutuelle; tantôt c'est l'aristocratie et la démocratie qui s'attaquent, et alors la royauté, en balançant l'une avec l'autre, les met d'accord; tantôt, au contraire, l'aristocratie et la démocratie se réunissent contre la royauté; mais alors celle-ci, armée de son veto, comme d'une baguette magique, leur ôte le mouvement et la parole. Cette trinité politique, dont la volonté générale naît des volontés opposées des pouvoirs qui la composent, si elle existoit réellement, seroit un vrai mystère, égal à tous ceux que la religion nous enseigne. Mais comme, en politique, il ne s'agit pas de foi, et qu'au contraire il faut rejeter toute doctrine qui n'est pas basée sur des faits avérés, il est bon d'examiner attentivement la composition de ces pouvoirs, qu'on dit si opposés, avant de croire à ce prétendu mystère.

Je suis loin de vouloir discuter toutes les doctrines, où relever

1 Voyez Blackstone, qui, dans son premier volume, ne dit sur les trois pouvoirs du parlement que des lieux communs que De Lolme a répétés.

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