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ceux de la derniere claffe: il n'y aura point: d'amende pour ceux de la troifieme & quatrieme claffe qui ne voudront préfenter perfonne: mais ceux de la feconde payeront au triple l'amende des jours précédens; & ceux de la premiere au quadruple. Le cinquieme jour les Magiftrats ouvriront les billets, & les expoferont aux yeux du peuple. Alors tous fans exception feront obligés de propofer un de ceux qui font nommés, fous peine de payer la premiere amende. Après. que les Magiftrats en auront choisi cent quatre-vingt de chaque claffe, ils les feront tirer au fort, & exigeront les épreuves or dinaires de la moitié à qui le fort aura été favorable. Ceux-là feront Sénateurs pour l'année.

L'ÉLECTION faite de cette maniere tiendra le milieu entre celles qui fe pratiquent dans les Monarchies & les Démocraties: milieu effentiel à tout bon gouvernement; parce qu'il eft impoffible qu'il y ait aucune union véritable, d'une part entre des maîtres & des efclaves, d'autre part entre d'honnêtes gens & des hommes de néant élevés aux mê mes honneurs. En effet il n'y a d'égalité en

tre les chofes inégales, qu'autant que la proportion eft gardée : & ce font les difproportions extrêmes qui rempliffent les Etats de féditions. Rien n'eft plus conforme à la. vérité, à la droite raifon & au bon ordre, que l'ancien mot qui dit que l'égalité engendre l'amitié. Ce qui nous jette dans l'embarras, c'eft qu'il n'est pas aisé d'affigner au jufte l'efpece d'égalité propre à produire cet effet: car il y a deux fortes d'égalités qui fe reffemblent pour le nom, mais qui font bien différentes pour la chofe. L'une confifte dans le poids, le nombre, la mesure: il n'eft point d'Etat, point de Législateur, à qui il ne foit facile de la faire paffer dans la diftribution des honneurs, en les laiffant à la difpofition du fort. Mais il n'en eft pas ainfi de la vraye & parfaite égalité, qu'il n'est point aisé à tout le monde de connoître: le difcernement en appartient à Jupiter, & elle ne fe trouve entre les hommes que d'une façon bien imparfaite. Mais quel, que part qu'elle fe rencontre, foit dans l'ad, ministration publique, foit dans la vie pri vée, elle y produit les plus grands biens. C'est elle qui donne plus à celui qui eft plus Q⋅ Z

grand, moins à celui qui eft moindre, à l'un & à l'autre dans la jufte mesure. Ainfi proportionnant les honneurs au mérite, elle donne les plus grands à ceux qui ont plus de vertu, & les moindres à ceux qui ont moins de vertu & d'éducation.

Et voilà en quoi consiste la justice politique, à laquelle nous devons tendre, mon cher Clinias, ayant toujours les yeux fur cette espece d'égalité, dans l'établiffement de nôtre nouvelle colonie: tout autre qui penfera à fonder un Etat, doit fe propofer le même but dans fon plan de légiflation, & non pas l'intérêt d'un ou de plufieurs tyrans, ou l'autorité du peuple, mais toujours la juftice, qui comme nous venons de dire, n'eft autre chofe que l'égalité établie entre les chofes inégales, conformément à leur nature. Il est pourtant néceffaire dans tout Etat, fi on veut fe mettre à couvert des féditions, de faire auffi ufage des autres ef peces de juftice, appellées ainfi abusivement: car les égards & la condefcendance, lorfqu'ils ont lieu, font des brèches faites, contre la droite juftice, à ce qui eft parfait & exact. C'est pourquoi, pour ne point s'ex

ger

pofer à la mauvaife humeur de la multitude,. on eft obligé en certaines rencontres de re-courir à l'égalité du fort; & alors il faut prier les Dieux & la bonne fortune de diriles décifions du fort vers ce qui eft le plus jufte. Mais encore qu'il faille faire ufa-ge de ces deux efpeces d'égalités, on ne doit fe fervir que dans très-peu de cas de celle qui eft foumife au hafard. Telles font mes chers amis, les raifons pour lefquelles tout Etat qui veut fe maintenir, doit fui-vre ce que nous venons de prefcrire...

MAIS de même qu'un vaiffeau en pleine mer exige qu'on veille nuit & jour à fa fu-reté ainfi un Etat environné de plufieurs autres Etats, qui le menacent fans ceffe de quelque tempête, expofé à mille attaques fourdes, & courant à tout inftant rifque de périr, a befoin de Magiftrats & de gardes. qui fe fuccedent fans interruption du jour à la nuit & de la nuit au jour, fe remplaçant, & fe confiant les uns aux autres la fureté publique. Or la multitude n'est pas capable d'une vigilance affez grande pour un tel objet. Il eft donc néceffaire que, tandis que le gros des Sénateurs vaquera la plus gran

de partie de l'année à fes affaires particulie res, & à l'adminiftration de fa famille, la douzieme partie de ce Corps faffe durant un mois la garde pour l'Etat, & ainfi l'une après l'autre pendant les douze mois de l'année: afin que, de quelque lieu qu'on vien ne, ou de la ville même, on puiffe s'adreffer à eux, foit qu'on ait quelque nouvelle. à leur apprendre, ou qu'on veuille les con fulter fur la maniere dont la Cité doit répondre aux demandes des autres Cités, & recevoir leurs réponses aux demandes qu'el le leur a faites; & encore à caufe des mouvemens tumultueux que l'amour de la nou veauté a coutume d'exciter dans les villes, afin principalement de les prévenir, ou du moins de les étouffer dans leur naiffance, l'Etat en étant averti fur le champ. Par cette même raifon, il ne doit fe tenir aucune affemblée fans la permiffion de ces furveil lans; & c'eft à eux de régler les différends qui pourroient furvenir au fujet des loix, & les autres conteftations imprévues. Telle fera pendant un mois l'occupation de la douzieme partie des Sénateurs, qui fe repoferont les onze autres mois de l'année.

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