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même jufqu'à répandre le vin fur leurs habits; perfuadés que cet ufage n'a rien que d'honnête, & qu'en cela confifte le bonheur de la vie. Les Perfes n'en font pas moins; & ils y ajoutent bien d'autres delicateffes, que vous rejettez en quoi je trouve que vous avez plus de raifon qu'eux. Megille. Auffi les mettons-nous en fuite, toutes les fois qu'ils en viennent aux mains avec nous. L'Athén. Croyez-moi, ne faites pas valoir cette raifon-là. Car il y a eu & il y aura encore bien des défaites & des victoires, dont il eft difficile d'affigner la caufe. Ne nous fervons donc point des batailles gagnées ou perdues, comme d'une preuve décifive de la bonne ou de la mauvaise difpofition des loix : la chofe n'en demeure pas moins douteufe après cela. Ne voyons-nous pas que les grands Etats, dans les guerres qu'ils ont avec les petits, les envahiffent & les fubjuguent ? Ainfi les Syracufains ont dompté les Locriens, qui paffent pour le peuple le mieux policé de cette contrée : ainfi les Athéniens ont foumis les habitans de Cée. On pourroit citer mille exemples femblables. Voyons plutôt ce qu'il nous faut penser de chaque

inftitution, en l'examinant en elle-même, & en mettant à part les défaites & les victoires. Difons de tel ufage, qu'il eft bon en foi; de tel autre, qu'il eft mauvais ; & avant toutes chofes, écoutez-moi fur la maniere dont je crois qu'il faut envifager ce qui eft bon en ce genre & ce qui ne l'eft pas. Mégille. Comment doit-on donc s'y prendre?

L'ATHÉN. Il me paroît que tous ceux qui difcourant fur quelque ufage commencent par le blâmer ou par l'approuver, fitôt qu'on en a prononcé le nom, ne s'y prennent pas comme il faut. C'eft précisément comme fi quelqu'un difant que le bled eft une bonne nourriture, on fe mettoit à le contredire, fans s'être auparavant informé de lui quelle eft la maniere dont on doit le préparer, ni comment, à qui, avec quoi, dans quel état tant de la chofe que des perfonnes, il faut le donner. Or voilà ce que nous faifons vous & moi dans ce difcours. Au feul nom de débauche, vous avez condamné la chofe, & moi je l'ai approuvée, le tout avec bien peu de jugement de part & d'autre. Car nous avons allégué chacun pour nôtre fentiment des témoins & des autorités: j'ai

cru dire quelque chofe de fort com a a fa faveur, en faifant voir qu'elle eft en ge chez beaucoup de nations; 100 10 êtes appuyés, au contraire for ce que la peuples à qui elle eft income,

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rieurs aux autres dans les combats prote fort équivoque, comme noun iasons s Si nous fuivons la même méthode dans le amen des autres loix, notre entretien pas comme je fouhaite. Je veux vous to propofer une autre, qui eft, a moon esis, celle qu'on doit fuivre dans la dife,for do la matiere préfente; & j'effayerai fi je pa's vous donner une idée de la vraye maniere de traiter ces fortes de fujets: d'autant qu'en fuivant notre premiere route, 10.1 trouverions fur chaque article une inf. vé de nations qui ne feroient nullement d'aocord avec vos deux Cités. Megille. S'il ch une voye plus directe pour nous conduire au but, parlez, nous fommes difpofés à écouter.

L'ATHÉN. Examinons la chofe ainfi. Si quelqu'un difoit qu'il eft bon d'élever des chèvres, & qu'on tire un grand profit de cet animal: & qu'un autre penfât le contraire,

parce qu'il auroit vû des chèvres paître fans gardien dans des endroits cultivés, & y faire de grands dégâts: le mépris que celui-ci feroit de ce bétail, pour l'avoir vû fans berger, ou n'en ayant qu'un mauvais, auroit-il quelque fondement; & fur une pareille raison pourroit-on fenfément méprifer quoi que ce foit? Mégille. Non, assurément. L'Athén. Suffit-il pour être un bon pilote, d'avoir une connoiffance exacte de la navigation, foit que d'ailleurs on foit fujet ou nɔn au mal de mer? qu'en penfez - vous ? Megille. Point du tout: la fcience ne fert de rien au pilote, qui feroit fujet à cette maladie. L'Athén. Un Général d'armée qui poffede l'art de la guerre, fera-t-il en état de commander, s'il eft timide dans le danger, & fi l'yvreffe de la crainte lui trouble la tête? Megille. Nullement. L'Athén. Et s'il étoit à la fois lâche & fans expérience? Mégille. Ce ferait un fort mauvais Général, plus digne de commander à des efféminés qu'à des gens de cœur. L'Athén. Mais quoi! Si quelqu'un approuvoit ou blâmoit une af femblée quelconque, qui par fa nature devroit avoir un chef, & pourroit être uti

d'ailleurs le, étant bien gouvernée; & que il ne l'eût jamais vue bien en ordre fous la direction d'un chef, mais ou abandonnée à elle-même, ou mal conduite; penfons-nous que l'estime ou le mépris qu'il feroit d'une pareille affemblée, fût de quelque poids? Mégille. Comment cela pourroit-il être, puifqu'il n'auroit jamais été à portée de voir une de ces affemblées bien gouvernée, ni d'y affifter?

L'ATHÉN. Arrêtez un moment. Les banquets & les convives qui les compofent, ne forment-ils pas une efpece d'affemblée ? Mégille. Sans doute. L'Athén. Or quelqu'un at-il jamais vû de la régle & de l'ordre dans ces banquets? Il vous eft aifé à tous deux de répondre que vous n'en avez jamais vû: cela n'est point d'ufage chez vous, & la loi vous l'interdit. Pour moi qui ai affisté à beaucoup de banquets en divers lieux, & qui me fuis informé de prefque tous; je puis vous affûrer que je n'en ai ni vû, ni entendu nommer un feul où tout fe paffàt dans la régle. On y obferve bien en certains lieux quelque ordre en un petit nombre de points peu importans: mais l'effentiel, le tout,

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