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fe rendre à vos defirs: Donnez-moi donc toute votre attention; & de mon côté je vais redoubler mes efforts pour vous expliquer nettement ma penfée. Mais avant tout, il est bon de vous prévenir fur une chofe. Les Athéniens paffent dans toute la Grece pour aimer à parler & pour parler beaucoup. Les Lacédémoniens au contraire ont la réputation de parler peu; (29) & les Crétois, de s'appliquer beaucoup plus à penfer qu'à parler. Je crains donc que vous ne me preniez pour un vain difcoureur, lorfque vous me verrez entamer un long propos fur un objet auffi mince que les banquets. Mais il m'eft impoffible de vous expliquer clairement & fuffifamment comment ils doivent être réglés, fans vous dire quelque chofe touchant la vraye nature de la Mufique; & je ne puis parler de Mufique, fans embraffer toutes les parties de l'éducation: ce qui m'engagera nécessairement dans de longues difcuffions. Ainfi délibérez fur le parti que nous avons à prendre, & fi laiffant cet objet pour le

(29) Ils avoient cette réputation même dès le tems d'Homere, autant qu'on en peut juger par le caractere de briéveté & de précision qu'il attribue à l'éloquence de Ménélas. Iliad. 3.

Tome I.

C

préfent, nous pafferons à quelque autre confidération fur les loix.

MÉGILLE. Etranger Athénien, vous ne fçavez peut-être pas que ma famille a droit d'hospitalité à Athenes. C'est apparemment une chose ordinaire à tous les enfans, lorf qu'ils viennent à apprendre qu'ils ont droit d'hofpice dans une ville, de fe fentir de l'inclination pour elle, & de la regarder comme une feconde patrie, après celle qui leur a donné le jour : du moins c'est un fentiment que j'ai éprouvé. Dès ma plus tendre jeuneffe, quand j'entendois les Lacédémoniens louer ou blâmer les Athéniens, & quand on me difoit : Mégille, vôtre ville nous a bien ou mal fervis en cette rencontre; je prenois fur le champ le parti de vos concitoyens, contre ceux qui en parloient mal; & j'ai toujours confervé pour Athenes toute forte de bienveillance. Votre accent me charme; & ce qu'on dit communément des Athéniens, que quand ils font bons, ils le font au plus haut dégré, m'a toujours pa ru véritable. Ce font en effet les feuls qui ne doivent point leur vertu à une éducation forcée; elle naît en quelque forte avec eux;

ecils la tiennent des Dieux en préfent; elle eft franche & n'a rien de fardé. Ainfi pour ce qui me regarde, dites avec confiance tout ce que vous jugerez à propos.

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CLINIAS. Etranger, lorfque vous aurez entendu, & reçu favorablement ce que j'ai à vous dire de mon côté, j'efpere que vous ne vous croirez par gêné en parlant devant moi. Vous connoiffez fans doute de réputaletion Epiménide, cet homme divin. (30) Il étoit de Gnoffe, & de nôtre famille. Dix ans avant la guerre des Perfes, étant allé à Athenes par ordre de l'oracle, il y fit certains facrifices que le Dieu lui avoit prefV crits. Et comme les Athéniens étoient dans et l'attente de l'armée des Perfes, il leur préet dit qu'ils ne viendroient de dix ans, & qu'aDiprès avoir vû échouer leur entreprise, ils et s'en retourneroient chez eux, ayant fait cmoins de mal aux Grecs, qu'ils n'en auroient d'eux. Alors vos ancêtres lui accorderent publiquement le droit d'hospitalité; & depuis ce tems - là nôtre famille, de pere

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(30) Au fujet d'Epimenide, voyez Plutarque, vie de Solon. S. Paul dans fon Epitre à Tite en cite un vers qui n'eft point à la louange des Crétois ; il le nomme leur prophête, c'est-à-dire qu'il paffoit pour tel chez

eux.

en fils, a toujours été très - attachée aux Athéniens.

L'ATHÉN. De vôtre part tout me paroît bien difpofé pour m'entendre: de la mienne, je puis répondre de ma volonté; mais je crains que le pouvoir ne la feconde point. Effayons cependant. Commençons par définir ce que c'est que l'éducation, & quelle est sa vertu. Nous ne pouvons nous difpenfer d'entamer par-là le difcours qui eft entre nos mains, jufqu'à ce qu'il nous conduise par dégrés au Dieu du vin. Clinias. Entrons donc par là en matiere, puifque vous le trouvez bon. L'Athén. Voyez fi l'idée que je me forme de l'éducation, est de vôtre goût. Clinias. Quelle eft-elle? L'Athén. La voici. Je dis que pour devenir un homme excellent en quelque profeffion que ce foit, 11 faut s'y exercer dès l'enfance, dans fes divertiffemens comme dans les momens férieux, fans négliger rien de ce qui peut y avoir rapport: par exemple, il faut que ce lui qui veut être un jour un bon laboureur, ou un bon architecte, s'amufe dès fes premiers ans, celui-ci à bâtir de petits châ teaux d'enfant, celui-là, à remuer la terre:

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que le maître qui les éleve, fourniffe à l'un & à l'autre de petits outils, fur le modele des outils véritables; qu'il leur faffe apprendre d'avance ce qu'il eft néceffaire qu'ils fçachent, avant que d'exercer leur profeffion; comme au charpentier, à mesurer & à de niveler; au guerrier, à aller à cheval, ou quelque autre exercice femblable, par forme de paffe-tems: en un mot, il faut qu'au des jeux, il tourne le goût & l'incliination des enfans vers l'objet, qui doit fai

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re un jour leur principal mérite, quand ils S en auront acquis la perfection. Je définis donc l'éducation, une inftitution bien entendue qui, par voye d'amufement, conIduit l'ame d'un enfant à aimer ce qui, lorf

qu'il fera devenu grand, doit le rendre accompli dans le genre qu'il a embrassé. Voyez, comme je vous ai dit, fi ce commencement vous plaît. Clinias. Oui.

L'ATHÉN. Ne laiffons pas non plus à ce que nous appellons éducation une fignification vague. Nous employons fouvent ce terme dans un fens fort impropre, lorfque nous difons de certaines gens, par forme de Elouange ou de mépris, qu'ils font bien ou

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