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mal élevés, & que nous l'appliquons à des perfonnes habiles dans le trafic, dans le commerce de mer, & en d'autres profeffions femblables. Néanmoins, en parlant ainfi, nous n'avons pas en vue cette éducation qui inspire à l'homme le defir d'être un excellent citoyen, & lui apprend à commander & à obéir felon la juftice. Or c'eft celle-ci que nous venons de définir, fi on en juge par ce que nous avons dit, & elle mérite feule le nom d'éducation. Quant à celle qui est dirigée vers les richeffes, la force du corps, & quelque talent que ce foit, où la fageffe & la juftice n'entrent pour rien; c'est une éducation baffe & fervile, ou plutôt elle eft indigne de porter ce nom. Mais ne difputons pas fur les termes avec le vulgaire. Tenons feulement pour conftant ce qui vient d'être reconnu, que ceux qui ont été bien élevés, deviennent d'ordinaire des hommes estimables; qu'ainfi on ne doit jamais méprifer l'éducation, parce que de tous les avantages que peut pofféder un homme vertueux, c'est le plus confidérable; & que fi on a quelquefois le malheur de la perdre, il faut pendant la vie faire tous fes efforts pour ի

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recouvrer s'il eft poffible. Clinias. Vous avez raifon, & nous convenons de tout cela. L'Athén. Mais nous fommes auffi convenus plus-haut que les gens de bien font ceux qui ont un empire abfolu fur eux-mêmes, & les méchans, ceux qui n'en ont aucun. Clinias. Cela eft vrai.

L'ATHÉN. Reprenons & développons davantage ce que nous difions alors; & permettez-moi d'effayer fi, avec le fecours d'un emblême, je pourrai vous mieux expliquer la chofe. Clinias. Très - volontiers. L'Athén. Ne pouvons-nous pas dire que chaque homme eft un? Clinias. Oui. L'Athén. Et qu'il a au dedans de foi deux confeillers infenfés, oppofés l'un à l'autre, qu'on appelle le plaifir & la douleur? Clinias. La chose est ainfi. L'Athén. Il y faut ajouter les preffentimens du plaifir & de la douleur à venir, à qui l'on donne le nom commun d'attente: mais l'attente de la douleur se nomme proprement crainte, & celle du plaifir, efpérance. A toutes ces paffions préfide le jugement, qui prononce fur ce qu'elles ont de bon ou de mauvais : & lorfque ce jugement devient la décifion commune

d'un Etat, il prend le nom de loi. Clinias, J'ai quelque peine à vous fuivre. Ne laiffez pas cependant de continuer. Mégille. Je fuis dans le même cas que Clinias.

L'ATHÉN. Formons-nous maintenant de tout cela l'idée fuivante. Figurons-nous que chacun de nous eft un automate forti de la main des Dieux, foit qu'ils l'ayent fait pour s'amufer, ou qu'ils ayent eu quelque deffein férieux: car nous n'en fçavons rien. (31) Ce que nous fçavons, c'est que ces paffions font comme autant de cordes ou de fils, qui nous tirent chacun de fon côté, & qui par l'oppofition de leurs mouvemens, nous entraînent vers des actions oppofées: ce qui fait la différence du vice & de la vertu. En effet la raison nous dicte qu'il eft de nôtre devoir de n'obéir qu'à un de ces fils; d'en fuivre toujours la direction, & de réfifter fortement à tous les autres. Ce fil n'est autre que le fil d'or & facré du jugement,

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(31) Voilà la preuve de ce que je difois dans la Préface, que les plus fages Philofophes de l'Antiquité igno roient la deftination & la fin derniere de l'homine: quel les ténebres par conféquent l'ignorance de ce point ne de voit-elle pas jetter fur tout le refte!

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C: appellé la loi commune de Ema. Les mtres fils font de fer & roides: m Den

celui-là est souple, parce qu'il et for. I faut que tous les mes, dont les formes font de toute efpece, fe prètent a la direc tion très-parfaite de la loi. Car le jugement, quoique excellent de fa nature, etunt doux & éloigné de toute violence, I a belbin pour nous tirer à foi du miniftere des paffions, afin que le fil d'or donne en nous la loi aux autres fils. (32)

C'EST aini que dans la fuppofition qui falt de nous autant d'automates, on confèrve à la vertu tous fes droits; on developpe d'ane maniere fenfible ce que c'est qu'être fupérieur ou inférieur à foi-même; on fait voir que tout homme, après avoir bien compris la nature du jeu de ces différens fils, doit fuivre dans fa conduite la direction du fil de la raifon; & que tout Etat, foit qu'il foit redevable à un Dieu de cette connoiffance, foit qu'il la tienne d'un Sage, doit en faire la loi de fon administration tant in

(32) Théodoret, Thérap. difcours 5, fe fert de ce paffage pour prouver que Platon a reconnu la liberté de l'homme. On peut voir fes réflexions à ce sujet,

térieure qu'extérieure. Cette fuppofition fert encore à nous donner des notions plus claire du vice & de la vertu; & ces notions à leur tour, nous feront peut-être mieux connoître ce que c'eft que l'éducation & les autres inftitutions humaines, & en particulier ce qu'il faut penfer des banquets, qu'on feroit tenté de regarder comme un objet peu important, qui ne mérite pas qu'on s'en entretienne fi longtems; mais qui, à ce que j'efpere, ne vous paroîtra pas dans peu indigne que nous nous y foyons tant arrêtés. Clinias. Fort bien. Tâchons enfin d'en venir à quelque conclufion digne d'un fi long dif

cours.

L'ATHÉN. Dites-moi. (33) Qu'arriveroit-il à cet automate, fi on lui faifoit boire beaucoup de vin? Clinias. A quel deffein me faites-vous cette queftion? L'Athén. Il ne s'agit pas encore de vous l'expliquer. Je vous demande feulement en général quel effet la boiffon produira fur lui: & pour vous faire mieux entendre le fens de ma question, je

(33) Ceux qui auront le texte grec fous les yeux en lifant ceci, s'appercevront que j'ai fait quelque change ment dans l'ordre des interlocuteurs. C'eft à eux de ju ger i j'y ai été fuffifamment autorifé par la liaifon du difcours.

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